" For Intérieur "
Le premier lieu que nous avons habité est teinté pour toujours d’une ambivalence impossible à résorber, à savoir que le premier de nos lieux, est toujours susceptible d’être trop doux ou trop froid, trop proche ou trop lointain, impossible à habiter ou impossible à quitter. Avec ceci qui sera la tache de toute notre vie, qui est que ce lieu premier que nous espérons suffisamment confortable pour pouvoir grandir, il faudra le quitter.
L’expression populaire « lutte fratricide » dit cette vérité essentielle, à savoir qu’il n’y a qu’un seul territoire pour tous les frères, nous venons tous du même ventre, entendez ! Nous sommes tous pris dans une même insécurité territoriale des origines, trop aimé autant que mal aimé. Ce qui nous effraie, c’est autant d’avoir à partir que d’avoir à rester. L’indifférencié est aussi angoissant que l’inconnu. Quel n’est pas notre trouble, d’un même berceau pour trois monothéismes ? Nous en sommes tout autant ravis, sidérés, qu’horrifiés. Que tout cela s’origine du même lieu nous plonge dans un sentiment « d’inquiétante étrangeté », dans un certain type de malaise.
Annabelle Ponroy
Photo: Nikolaz Lecoq
“ J’ai un rêve qui revient souvent depuis quelques années.
Dans ce rêve, j’ai un autre appartement que j’ai oublié depuis longtemps.
Un lieu que j’ai négligé, où se trouvent encore des affaires personnelles.
Je n’ai pas payé le loyer. Je n’ai prévenu personne que je n’y habite plus.
Ce lieu est presque inaccessible dans le rêve mais son existence se rappelle soudain à moi. “
Dans ce rêve, j’ai un autre appartement que j’ai oublié depuis longtemps.
Un lieu que j’ai négligé, où se trouvent encore des affaires personnelles.
Je n’ai pas payé le loyer. Je n’ai prévenu personne que je n’y habite plus.
Ce lieu est presque inaccessible dans le rêve mais son existence se rappelle soudain à moi. “
G. Shifron
Dans For Intérieur, la jeune artiste diplômée de l’EnSAD (section scénographie) en 2016 esquisse une architecture primordiale en perte d’ancrage. “Que construit-on sur des fondations muables ? “ semble suggérer cette image de reporter de palestiniens récupérant des pierres de la destruction de l’aéroport de Gaza le 16 août 2010, en amorce de l’exposition.
Dans cette nouvelle histoire qui s’écrit chez Fabre; l’artiste Goni Shifron a souhaité y implanter son désert, celui dans lequel elle a vécu enfant avec ses parents jusqu’à l’âge de 16 ans. Une expérience radicale qui fait suite à une prime enfance passée dans un Kibboutz. Le désert ainsi matérialisé représente l’envers suspendu et neutralisé de la partie habitable du monde pour Michel Foucault. Certains voient aussi le désert comme une hétérotopie de crise pour des adolescents en quête d’utopie. Pour beaucoup, le désert apparait à la fois comme espace d’illusion et de compensation.
Dans les différents projets de Goni Shifron, les lieux évoqués sont tous situés. Ils ouvrent pour autant sur une abstraction comme les vues photographiques d’une base militaire désaffectée, au seuil de l’espace administré par l’ONU entre Israël et la Syrie. “J’accède à cet espace à l’aube. J’observe l’horizon qui est un ailleurs : un lieu où je ne peux pas me rendre. Un lieu de l’autre. Là bas, je ne pourrai jamais y aller. Je ne pourrai jamais voir. Concrètement ce que je vois est un vide. Un horizon désertique “.
Alexandra Fau